Que se passe-t-il actuellement sur le marché des JGB japonais ?
Le marché des obligations d’État japonaises, appelées Japanese Government Bonds (JGB), traverse une phase de fortes turbulences. Ces titres, émis par le gouvernement nippon pour financer ses dépenses publiques, ont longtemps été synonymes de stabilité avec des rendements très faibles, parfois négatifs, sous l’effet d’une politique monétaire ultra-accommodante menée par la Banque du Japon (BoJ). Cependant, depuis le début de 2025, des tensions multiples ont provoqué une hausse brutale des rendements, rendant ces obligations plus séduisantes pour certains investisseurs, tout en exposant les porteurs existants à des risques accrus.
Actuellement, les rendements des JGB à 30 et 40 ans flirtent avec leurs plus hauts niveaux historiques. Le 30 ans affiche autour de 3.22%, un sommet depuis sa création en 1999. Le 40 ans culmine à 3.42%, très proche de son pic absolu de mai 2025 (3.68%).
Pression inflationniste et changement de cap monétaire
L’inflation au Japon reste au-dessus de 3.5%, dépassant depuis plus de trois ans l’objectif des 2% de la BoJ. En réaction, la banque centrale a modifié son approche : hausse des taux directeurs (de 0.1% à 0.5% en 2025), réduction de ses interventions sur le marché obligataire et assouplissement du contrôle de la courbe des taux. Cette libéralisation a favorisé une montée des rendements, les investisseurs exigeant désormais une prime plus élevée pour compenser les risques liés à l’inflation et à l’endettement massif.
Le Japon affiche un ratio dette/PIB supérieur à 260%, soit le plus élevé parmi les grandes économies mondiales. Et les promesses de nouvelles dépenses publiques accentuent les inquiétudes budgétaires. Les investisseurs anticipent une pression croissante sur les finances publiques. Cela s’est traduit par des enchères très décevantes, comme celle des JGB à 20 ans en mai 2025 qui a enregistré sa plus faible demande depuis 1987.
Une volatilité alimentée par les dynamiques mondiales
La hausse des taux d’intérêt à l’étranger, notamment aux États-Unis (10 ans à 4.3%) et en Europe (Bund allemand à 2.8%) pèse aussi sur le marché japonais. Les flux de capitaux mondiaux se réorientent tandis que les grands assureurs-vie nippons, longtemps acheteurs naturels de JGB, atteignent leurs limites réglementaires et privilégient désormais des placements étrangers moins exposés au risque japonais.
La conséquence directe est une réévaluation structurelle des JGB : les prix baissent, les rendements grimpent et la volatilité augmente. L’indice de stabilité du marché est tombé à -44 en mai 2025, indiquant un niveau de stress inédit.
Un marché obligataire japonais au bord du gouffre ?
Malgré les apparences, le marché des obligations d’État japonaises ne s’effondre pas. Il connaît une phase de tension sévère mais les fondamentaux restent suffisamment solides pour éviter un scénario de krach similaire à 1990 ou 2008. Il s’agit plutôt d’un ajustement douloureux après des décennies de répression des rendements.
Les obligations longues (30-40 ans) ont vu leur rendement progresser de plus de 100 points de base en un an, générant des pertes colossales pour les porteurs. Les compagnies d’assurance-vie ont par exemple quadruplé leurs pertes latentes sur les obligations domestiques au T1 2025, atteignant 60 milliards de dollars.
Bien que la BoJ détienne environ 52% des JGB en circulation, elle poursuit une réduction progressive de ses achats mensuels (vers 2.9 milliars de yens d’ici 2026), ce qui pourrait réduire la liquidité du marché. Certaines adjudications récentes, comme celle des obligations à 40 ans en juillet, ont enregistré leur plus faible niveau de demande depuis 2011.
Une correction maîtrisée, pas un effondrement
Les rendements réels restent inférieurs à l’inflation (3.7% en mai 2025), ce qui conserve l’intérêt de certains investisseurs locaux. Par ailleurs, la BoJ n’exclut pas des interventions ciblées et les agences de notation maintiennent une perspective stable (Moody’s : A1). Enfin, les flux étrangers ne se sont pas retirés massivement du marché et certains fonds voient dans les taux super-longues une opportunité rare de diversification.
Le carry trade en yen
Le mécanisme du carry trade, qui consiste à emprunter en yens à bas coût pour investir dans des actifs à plus haut rendement à l’étranger, est sous pression comme jamais. Depuis le début de 2025, la montée des taux japonais et l’appréciation du yen ont bouleversé l’équation.
Avec un taux directeur de 0.5%, le yen reste historiquement bas, mais les rendements à long terme japonais frôlent les 3.4%, réduisant drastiquement l’intérêt du carry trade. Le coût de couverture de change explose et les investisseurs japonais commencent à rapatrier des capitaux, nuisant à la performance des marchés étrangers.
Le yen s’est apprécié de 8% depuis janvier 2025. Ce mouvement inverse les gains du carry trade, qui repose sur une faiblesse relative du yen. En cas de poursuite de cette hausse comme en août 2024 (yen +14%, Nasdaq -13%), le désengagement massif pourrait provoquer des secousses sur les marchés mondiaux.
Selon la BRI, les positions spéculatives sur le yen avaient atteint des records début 2025. Un unwind désordonné pourrait entraîner une remontée des taux US vers 5%, une chute des actions tech, une chute des cryptomonnaies et une instabilité accrue sur les devises émergentes (peso mexicain, real brésilien). Néanmoins, certains experts estiment que la phase de correction amorcée en 2024 a permis de réduire significativement l’exposition, offrant un certain tampon en cas de choc.
Vers une normalisation mondiale des marchés ?
Le marché obligataire japonais connaît une mutation majeure. Les décennies de taux ultra-bas semblent appartenir au passé et cette transition, bien que progressive, provoque des tensions en chaîne sur les marchés mondiaux. Le yen carry trade est fragilisé et les flux de capitaux japonais deviennent un baromètre essentiel de la stabilité financière mondiale. Pour les investisseurs, c’est un moment de recalibrage stratégique. Le Japon pourrait bien être le précurseur d’une ère de normalisation des dettes souveraines et du coût du capital à l’échelle globale.